''Il vaut mieux se perdre dans la passion que de perdre sa passion''




jeudi 11 octobre 2018

De la continuité des gobages


C'est difficile de l'admettre mais la saison de la pêche à la truites en eau vive s'est à peine terminée. Tout ceci n'est déjà plus qu'un lointain souvenir et je pense à toutes ces belles heures passées au bords de l'eau à fureter sur les berges à la recherche de ronds apparaissant sur l'eau. 
J'aime observer ces manifestations laissées par les salmonidés et autres poissons moucheurs à la quête d'insectes venus se poser sur la surface froide du monde liquide. Pour le pêcheur à la mouche sèche que je suis, ces ronds sont le centre de tout. Le plus captivant, c'est d'observer en restant hors de sa vision, une truite qui godille nonchalamment au grès du courant dans l'eau transparente et tout près de la surface. Il y a de la légèreté dans ce corps élancé et parfaitement adapté à sont environnement. Une éphémère passe à proximité et dans une synchronisation parfaite, la truite s'approche de la surface, ouvre sa gueule et l'insecte s'engouffre littéralement dedans. Un rond sur l'eau apparaît et l'onde se propage alentour.
La truite ferme sa gueule et dans la continuité de son mouvement qui l'a amené à la surface, elle arrondie son dos et regagne son poste. Mais la pensée de la beauté et de la finesse de ce geste délicat n'arrive pas à chasser une certaine anxiété qui me préoccupe depuis des années. Je ne peux m'empêcher de penser à cette été et à ce début d'automne particulièrement sec. Pour un pêcheur de rivière, cela influence tout. Sans eau, il n'y a pas de vie et bien entendu pas de poissons.
Durant toute cette période, les nouvelles lues dans la presse ou vues à la télévision n'ont eues de cesse de nous rappeler que le réchauffement climatique, qui semble aux yeux des scientifiques se confirmer, se répétera de plus en plus souvent. Il suffit de se pencher un peu sur la chose pour comprendre les enjeux futurs pour les pêcheurs de salmonidés en rivière. Fonte des glaciers, fonte des calottes polaires, augmentation de la température des cours d'eau, étiages en période de sécheresse encore augmentées de manière dramatique par les pompages agricoles pour l'irrigation des cultures. L'or bleu, cette ressource si abondante sur la terre deviendra un enjeu crucial non seulement pour nos rivières de plaine mais aussi de moyenne montagne.
J'ai beau habiter sur les contreforts des Préalpes mais ici aussi, les problèmes sont particulièrement visibles. A la période d'étiage estival, il faut ajouter des problèmes liés à la production électrique et aux barrages monumentaux qui ont été, par exemple, érigés sur la Sarine cet affluent de l'Aar et du Rhin que je pêche depuis mon enfance et qui était autrefois une rivière à saumons. Ces satanés barrages et leur centrales électriques qui ne cessent de faire fluctuer le niveau de la rivière tous les jours à maintes reprises et qui diminuent de manière non négligeables les chances de survie des juvéniles.
A cela il faut ajouter l'assèchement déjà effectués depuis des décennies et à des fins agricoles de tous les marais et prairies humides qui sont de véritables éponges qui absorbent l'eau et qui la restituent progressivement en évitant que les niveaux des rivières chutent rapidement entre les périodes de pluies. Il y a aussi les pollutions agricoles aux lisiers et de toutes sortes de produits phytosanitaires. Et encore celles de nature industrielles et aussi accidentelles faites par le commun des mortels. Et pour couronner le tout, il y a la maladie rénale proliférative MRP ou PKD en anglais et la Saprolegnia Parasitica. Ah oui, j'oubliais. Il y a encore nos propres déjections et avec cela les substances médicamenteuses que nous consommons et leurs lots d'hormones de synthèses qui modifient le sexe des poissons...!
Inutile de continuer. C'est effrayant, la liste semble interminable. Je le sais et finalement toutes les personnes qui s'intéressent un tant soi peu à l'écologie le savent, les enjeux sont énormes pour ce qui reste aujourd'hui de nos belles rivières d'autrefois. La pression humaine sur les écosystèmes ne cesse d'augmenter et je ne sais pas si dans dix ou quinze ans les rivières que je pêche seront encore pérennes.
Quand j'étais gamin, j'étais plein d'espoir et je n'avais de cesse de rabrouer mon père qui se plaignait de la qualité de nos rivières. Il n'arrêtait pas de me dire qu'il n'y avait plus rien, que par rapport aux années soixante-dix on pêchait plus rien. Je lui répondait que ça allait revenir, que nos autorités feraient le nécessaires pour revitaliser et que l'abondance serait de retour bientôt. J'étais plein d'espoir.
Aujourd'hui et cela trente ans plus tard, mes cheveux poussent blancs sur mes tempes et qu'en est-il globalement de la qualité des cours d'eau? Je vous laisse réfléchir et penser à vos rivières préférées. De mon côté, c'est plutôt mi-figue mi-raisin. Il y a encore des joyaux mais les cloaques de l'époque le sont encore. La biodiversité est en péril et pas seulement dans les écosystèmes aquatiques .
La conservation de nos rivières est un vrai défi et leur avenir est plus que jamais sur le fil du rasoir. Je termine tout de même cet article sur une note positive et j'ose penser que l'année prochaine et les années suivantes seront sereines malgré tous les problèmes que nos rivières devront faire face.
C'est ce que je souhaite. Que les éphémères soient encore nombreuses à se poser sur l'eau pour que les générations futures puissent comme moi, un jour, observer dans la nature une belle truite sauvage faire des ronds à la surface de l'eau.



Angelo