''Il vaut mieux se perdre dans la passion que de perdre sa passion''




mardi 19 mai 2020

De se dégourdir les jambes


Salmo trutta fario!

Il monte dans sa voiture, dépose son flacon de gel hydroalcoolique dans le vide poche, ferme la porte et tourne la clé de contact. Le moteur se met à tourner et la radio s'enclenche. Il a à peine le temps de faire une petite marche arrière pour s'engager sur la route qui le mènera au bout de quelques kilomètres à la rivière que la radio se met a jouer à plein tube le dernier hit de Dua Lipa, Don't Start Now. 

Reflets le jour de l'ouverture à la Petite-Sarine


Avant de partir, il a enfilé dans son garage ses waders encore moites de la récente virée sur un torrent de montagne, là-bas, en direction de la Dent de Broc. Cette dernière sortie n'est déjà plus qu'un bon souvenir et il se souvient de ces petites truites furtives qui montent dans les vagues d'une eau froide et limpide pour saisir une imitation avec une telle détermination qu'il s'en étonne encore. La route, avalée à un rythme endiablé, n'est pas longue et il s'arrête en bordure de forêt. A deux pas de là, il y a un petit chemin agricole qui descend directement dans un coin de rivière facile d'accès. Il éteint le moteur et retire la clé. La musique s'arrête aussitôt et laisse place au calme. En ouvrant la porte, un nouveau paysage sonore prend le relais. 



Cherchez la noire!

Un triton alpestre

Les basses tonitruantes de Dua Lipa se sont évaporées. Il entend maintenant les doux chants des oiseaux dans la canopée. Ici un merle, par-ci un pigeon ramier et par-là des mésanges. A son grand étonnement, il entend même un coucou. Les fleurs ainsi que les pollens sont légion. Il suffit de regarder parterre pour trouver partout des amoncellements de pollens de pissenlits qui fleurissent en ce moment par millions dans les champs. Ces vertes prairies aux alentours sont parsemée de fleurs et ce fond vert dominant entrecoupé de zones parsemées de fleurs lui procure un effet reposant, apaisant voir réparateur. L'évasion que lui procure déjà ce début de virée lui fait oublier cette ambiance anxiogène qui pèse aujourd'hui sur l'humanité toute entière et la passion latente du pêcheur à la mouche semi-confiné qu'il est, peut enfin s'exprimer ici. 







L'appel de la rivière l'amène en quelque sorte dans un refuge, loin de ces minuscules organismes qui font de si grands ravages chez les humains. Il est loin ici de cette atmosphère troublante et tragique. En regardant les médias, le plus étrange, c'est que finalement il ne sait plus si l'économie est au service de l'homme, ou plutôt si le contraire, sans que l'on s'en rende vraiment compte avait pris le dessus depuis longtemps. Il songe à tout cela en dévissant le bouchon du tube de protection de sa canne à mouche. Les perspectives, aujourd'hui, c'est l'instant présent, écouter ce que nous disent les autorités de faire et, pourquoi pas, s'en remettre au Créateur? Mais tout cela se dissipe dans son mental de pêcheur déjà trop préoccupé à penser à ce que lui offrira ou pas la rivière. Il ne lui faut que quelques instants pour assembler la canne, fixer le moulinet et endosser son gilet de pêche. Il s'introduit ensuite dans la forêt avec entrain. 

Truite fario dorée


Porte d'entrée dans les gorges

Pescatore solitario


Pascal à la Veveyse
Quelques centaines de mètres plus loin, il entend les premiers bruits caractéristiques de l'eau qui méandre tranquillement dans la zone alluviale. Il avance sur la berge et l'obscurité de la forêt laisse place à la lumière éblouissante qui l'entoure aussitôt. Le site est propice à la contemplation et cela lui fait penser à un passage de Izaac Walton qui dans son livre intitulé ''Le parfait pêcheur à la ligne'', nous raconte par le biais de Piscator que dans les temps anciens, un débat s'était élevé et qui reste encore à régler: 
- le bonheur de l'homme en ce monde consiste-t-il davantage dans la contemplation ou dans l'action? -

Un peu plus tard et toujours sur le thème de la contemplation, Piscator raconte à son ami Venator: 
- Touchant ces deux opinions, je m'abstiendrai d'y ajouter un troisième en donnant mon propre avis et me contenterai de vous dire, mon très digne ami, que les deux notions se pénètrent et toutes deux s'appliquent, de façon fort appropriée, à l'art très honnête, très ingénieux, très calme et très inoffensif de la pêche à la ligne. Et tout d'abord, je dois vous dire que certains ont observé (et je me suis, pour moi, aperçu que c'était une très exacte vérité) que le fait même de s'asseoir sur le bord de la rivière, non seulement vous fait prendre la position la plus tranquille et qui correspond le mieux à la contemplation, mais encore invite le pêcheur à pareille disposition. -


Simon en pleine action

Des jaunes partout!



Notre pêcheur aujourd'hui ne s'assiéra pas. Pas encore. Un autre jour peut-être, lorsque ses jambes auront de la peine à le porter. Il veut passer à l'action, gambader à la rivière pour se dégourdir les jambes jusqu'à ce que la nuit lui empêche de voir où poser les pieds, de voir ses mouches naviguer sur les courants turbulents ou sur les lisses, là où truites, ombres, chevaines et autres poissons gobeurs viendront saisir les insectes en crevant la surface, cette frontière qu'il y a entre ces univers distincts que sont l'air et l'eau. 




Le temps des narcisses

Debout sur la berge, il pense à ce merveilleux fil rouge qu'est la pêche à la ligne et à tout ses compagnons d'ici et d'ailleurs qui ont croisés un jour son chemin sur notre belle planète bleue et qui partagent eux aussi la même passion avec d'autres amis. Ce fil rouge qui lui rappel aussi ceux qui ne sont plus là et qui furent ses regrettés amis. Nul doute que durant cette période incertaine faite de confinements ces liens ont pris un coup et se sont quelque peu défaits. Mais, il en est sûr, ils ne se rompront pas, ils se renforceront et existeront toujours. Seront-ils similaires? Qui peut le dire aujourd'hui? Ils pourraient être différents car il faudra se résoudre, pour quelque temps du moins, à côtoyer les compères à distance de canne pour prendre soin de soi, des autres et garder ainsi pour longtemps la pêche!


Angelo