''Il vaut mieux se perdre dans la passion que de perdre sa passion''




samedi 29 juin 2013

Ernest Hemingway et sa grande rivière au cœur double


Voici un passage de la fameuse partie de pêche de Nick Adams extrait de la nouvelle d'Ernest Hemingway qui parût la première fois en 1925 et qui est intitulée en anglais: ''The Big Two-Hearted River''. En tant que pêcheur, on se voit facilement à travers Nick Adams et on se mettrait même volontiers à sa place!

Une jolie truite pour clore un coup du soir sensationnel. Juin 2013.

'' Nick se laissa aller en arrière, s'arc-boutant contre le courant et tira une sauterelle de la bouteille. Il l'enfila dans l'hameçon et lui cracha dessus, par superstition. Ensuite, il dévida plusieurs mètres de fil du moulinet et projeta la sauterelle loin sur l'eau rapide et sombre. Elle flotta vers les troncs d'arbres, puis le poids de la ligne tira l'amorce sous la surface. Nick tenait la canne de la main droite, laissant filer la ligne entre ses doigts.

Il y eut une secousse. Nick ferra et la canne s'anima dangereusement, complètement recourbée, la ligne se tendant, sortant de l'eau, se tendant de plus en plus, le tout sous l'effet d'une traction violente, dangereuse et constante. Nick sentit que le bas de ligne allait casser si la tension augmentait, alors il laissa filer.

Le moulinet émit un cri strident, tandis que le fil partait à toute vitesse. Trop vite. Nick était incapable de contenir la course effrénée du fil, la chanson de plus en plus aiguë du moulinet à mesure que se déroulait la ligne.

Quand apparut le noyau de la bobine, son cœur se vida, tant était grande sa surexcitation. Arc-bouté en arrière contre le courant glacial qui grimpait autour de ses cuisses, il freina du pouce gauche sur la bobine, de toutes ses forces. Il eut de la difficulté à passer le pouce à l'intérieur de l'armature du moulinet.

Alors qu'il accentuait la progression, la ligne se tendit et durcit soudain, et de l'autre côté des troncs d'arbres une énorme truite jaillit très haut hors de l'eau. La voyant sauter, Nick abaissa l'extrémité de la canne. Mais à un moment donné, baissant la canne pour alléger la tension, il sentit que la tension était trop forte; la rigidité trop grande. Naturellement, le bas de ligne avait cassé. Cette impression que la ligne n'avait plus de ressort et devenait sèche et raide ne trompait pas. Ensuite elle mollit.

La bouche sèche, le cœur effondré, Nick moulina. Il n'avait jamais vu de truite aussi grosse. Il y avait là un poids, une puissance impossible à tenir, et puis cette masse quand elle avait sauté! On eût dit un saumon.

La main de Nick tremblait. Il moulinait lentement. L'émotion avait été trop forte. Il sentit une vague nausée l'envahir et eut envie de s'asseoir.

Le bas de ligne avait cédé à l'endroit où il était attaché à l'hameçon. Nick le prit dans sa main. Il songea à la truite, quelque part dans le fond, se maintenant en équilibre au-dessus du gravier, sous les troncs d'arbres, loin de la lumière, l'hameçon dans la mâchoire. Nick savait que les dents de la truite couperaient le crin de l'hameçon, l'hameçon lui-même resterait implanté dans sa mâchoire. Il aurait parié que la truite était en colère. N'importe quoi de cette taille serait en colère. Ca, c'était une truite! Elle avait été fermement accrochée. Ferme comme un roc. On eût dit un roc, d'ailleurs, avant qu'elle n'eût démarré. Bon Dieu, qu'elle était grosse! La plus grosse que j'aie jamais vue, bon Dieu! ''

dimanche 16 juin 2013

Virée pêche en montagne

Les montagnes environnantes
 
Une jolie truite

Un beau pool


L'onde sauvage


La vallée de la Karluk, Alaska. Septembre 2009.

Dans les remous limpides de la rivière et la lueur du soleil se projetant sur le fond constitué de galets, une truite évolue, se faufile tant bien que mal dans ce monde minéral. Je me tiens sur la berge, caché par les feuilles des arbres qui m'entourent. Une brise légère caresse mon visage et me rafraîchit en ce début d'après-midi lourd et orageux. Le mimétisme de la truite est surprenant. Son ombre sur le fond de la rivière est facile à suivre tandis que son corps est difficile à distinguer.

Je me rappel lorsqu'avec Michel nous découvrions pour la première fois la Stuyahok en juillet 2004. A chaque arrivée de pool, je me mettais à l'avant du raft pour voir s'il y avait des saumons Kings. Le spectacle était quelque fois incroyable. De partout, des poissons au moins longs comme un bras fuyaient à notre arrivée. Nous nous exclamions, que dis-je, nous balbutions devant un telle débauche de poissons de si grande taille! Quelle abondance, chaque pool était plein, on aurait dit un rêve. Ces merveilleuses créatures de retour de l'océan pacifique se retrouvaient là afin de perpétuer leur espèce dans un cycle qui se reproduit depuis la nuit des temps.

Être le témoin de ce retour aux origines a été une révélation et cela à l'écart de toute civilisation là-bas, au fin fond du bush. L'Alaska ne peut laisser l'amateur de grands espaces indifférent. Tout est dans la démesure et les repères d'ici se transforment en miniatures lorsque on survole en hydravion durant des heures les belles étendues encore sauvages de la ''Last Frontier''. Les repères sont littéralement transpercés et éclatent face aux paysages grandioses qui s'étalent à perte de vue. Aussi, on ressent ce sentiment agréable et excitant que l'on sera peut-être le premier homme à fouler ces terres arctiques et qu'avec une certaine humilité on se rend compte que l'on est pas grand chose dans cet environnement dépourvu d'infrastructures humaines.

J'observe toujours ma truite. Elle fait brusquement un écart et je la voit avaler une larve qui passait à sa porté. Je revois mon Alaska chérie avec la certitude qu'elle m'accompagnera toujours, même ici, en toute humilité au bords de cette rivière des Préalpes Fribourgeoises face à cette truite, merveille de la nature.

Angelo