''Il vaut mieux se perdre dans la passion que de perdre sa passion''




jeudi 12 décembre 2013

Carnet d'aventure: le voyage intemporel sur l'île de Kodiak. L'intégrale.

Voici la version intégrale de mon récit du séjour de pêche en Alaska qui a eu lieu durant le mois de septembre. Je pense que cet article ne nécessite pas d'être illustré par des images car, vous vous en apercevrez vous-même, il est en quelque sorte lui-même déjà suffisamment imagé. A mon avis, il condense à lui seul toute la magie que la nature sauvage peut offrir à un pêcheur désireux de découvrir un environnement remarquable et encore relativement bien préservé de toutes détériorations humaines.

Je tiens tout particulièrement à remercier l'équipe d'Alaskaevasion, Bernard et Catherine Thompson ainsi que Jérôme pour avoir rendu possible ce magnifique séjour sur l'île de Kodiak.

Bonne lecture!
Angelo

La Karluk à Oxbow


 Le voyage intemporel sur l'île de Kodiak

''Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait.'' C'est dans cette citation de Nicolas Bouvier que se résume ou presque mon quatrième séjour de pêche sur la rivière Karluk qui se situe sur la fameuse île de Kodiak en Alaska.

Le lac Karluk
Nous sommes le mercredi 19 septembre 2013. Nous arrivons en hydravion sur le lac Karluk, là où la rivière du même nom prend naissance. Nous montons le camp à proximité de la rive et nous nous apprêtons à passer une douzaine de jours dans le bush en totale autonomie, loin de toute civilisation. Nous mangerons les vivres que les guides Bernard, Catherine et leur aide Jérôme, ont emportés avec eux et aussi les poissons que nous capturerons durant notre périple. Le dernier hydravion De Havilland Beaver s'en va et le bruit typique de son moteur en étoile à neuf cylindres laisse place maintenant au silence. On entend le clapotement de l'eau translucide sur la berge et de temps en temps le claquement des Sockeyes sautant en l'air. Ceux-ci sont en train de frayer et les berges peu profondes du lac sont par endroit littéralement envahies de poissons. La rivière quand à elle, prend naissance à une centaine de mètres du camp et le spectacle qu'offre les milliers de Sockeyes présents est saisissant. La rivière bouillonne de poissons. Avec les autres membres du groupe, nous observons la scène avec nos lunettes polarisantes. De nombreux ombles arctiques se faufilent entre les Sockeye pour se nourrir de leurs œufs fécondés et fraichement déposés sur le lit de la Karluk constitué de petits galets. Un ours passe juste devant le camp. Il n'est pas très grand, c'est un jeune de quatre ou cinq ans. Il est timide. Il a la tête basse et ne regarde pas vers nous. Au loin, la végétation sur les collines arbore des couleurs d'automne magnifiques. On est en Alaska, au milieu de nul part au bord d'une rivière pleine de poissons et tout le reste maintenant n'a plus d'importance. Le temps s'est arrêté et les préoccupations rattachées au monde civilisé ne sont plus qu'un lointain souvenir.

Les plus impatients ont vite fait de monter leurs cannes et les premières prises ne se font pas attendre. Dans le lac, une grande quantité de Dolly Vardens en quête d'œufs de saumons se fait prendre par nos leurres. Leur défense est incroyable et spectaculaire par rapport à leur taille. Certains gros individus avoisinent sans problème deux kilos et sont littéralement gavés d'œufs et lorsque on les décroche, ils en régurgitent beaucoup. Nous relâchons la plupart d'entre eux mais nous en gardons quelques-uns pour le souper. La pêche plus en aval dans la rivière est toute une autre affaire car l'imposante quantité de Sockeyes présents empêche toute dérive digne de ce nom car chaque passage avec nos streamers se conclu en général par un poisson harponné. De plus, on est vraiment sur un site de fraie et il est bien plus intéressant d'observer leur ébats nuptiaux et mettre ici la pêche entre parenthèse. La luminosité commence à diminuer. Il est temps de rentrer au camp et de passer à table afin de déguster la fameuse soupe du bush préparée par Bernard et aussi se régaler des poissons pêchés durant la journée. Nous passons une agréable soirée au bord du lac. Nous regagnons nos lits de camp dans nos tentes avec des pas rendus hésitants par le Whisky, le vin et l'obscurité de la nuit boréale.

Le lendemain, nous passons toute la journée à traquer les Dollies du lac et nous en prenons en quantité. Je pêche avec une soie intermédiaire et un Polar Shrimp. Cette combinaison s'avère d'une grande efficacité. Les poissons ne sont pas en profondeur car il fait beau et le soleil a réchauffé les eaux superficielles rapidement. J'utilise mes lunettes polarisantes et vois littéralement des bancs de Dollies passer à proximité des frayères de Sockeyes. Je lance le plus rapidement possible en direction des poissons. Cela se traduit à chaque fois par une attaque franche sur mon streamer. Après une journée de pêche bien remplie, je décide de consacrer un peu de temps à l'observation de la faune et je troque ma canne pour mes jumelles dans l'espoir de voir un ours. Je n'ai pas besoin d'aller très loin car la petite bute à deux pas du camp est le point culminant du coin. Je scrute l'horizon en regardant en aval en direction de la rivière, je vois deux grizzlys qui courent dans l'eau. Les nombreuses mouettes qui tournoient autour d'eux me font penser que des Sockeyes doivent frayer dans le secteur et bien entendu les ours en profitent pour s'en gaver. A une trentaine de mètres de là, je vois un photographe avec son trépied et son énorme téléobjectif en train de prendre des photographies. Ah voilà, c'est là que se trouve l'équipe de photographes qui réside dans le petit chalet juste à côté de notre camp! Ils n'ont pas froids aux yeux, les bougres. Les autres participants du séjour me rejoignent et nous observons ensembles par une belle lumière crépusculaire les ours en quête de nourriture entourés d'une nuée de mouette à la recherche de carcasses de saumons.



Oxbow

Vendredi 20 au dimanche 22 septembre. Nous levons le camp en milieu de matinée après un excellent petit déjeuner puis partons pour rejoindre un lieu s'appelant Oxbow. C'est le meilleur spot pour la pêche du Silver. S'il y en a bien sûr... Mon coéquipier de raft s'appel Daniel et je partage également ma tente avec lui ainsi qu'avec Jérôme. La descente de la rivière est paisible car cette portion du cours d'eau est relativement plate, méandreuse et aussi marécageuse. Le niveau de la rivière n'est pas exceptionnellement haut et nous devons tirer de temps en temps le raft car la rivière au début est large et peu profonde. Nous dépassons la première équipe qui était partie avant nous. Elle est constituée de François, Pierre, Patrick et Niko. Nous avons de la chance d'avoir pu les dépasser car si un ours sera sur notre passage nous aurons tout le loisir de nous arrêter puis de l'observer en premier. Nous progressons maintenant sans peine car le lit de la Karluk est plus étroit et les pools deviennent de plus en plus profonds. Soudain, en arrivant dans un nouveau pool, je vois un petit ourson puis un deuxième sur un banc de gravier à environ vingt-cinq mètres de nous. Je ne vois pas leur mère. Les oursons nous aperçoivent et se mettent à souffler bruyamment. Aussitôt, leur mère sort des herbes justes à côté de ses petits puis se met sur les deux pattes arrière afin de nous observer. Nous n'arrivons pas à arrêter le raft et nous nous approchons rapidement des ours. En un éclair, j'empoigne ma pagaie à deux mains et je tape violement sur l'eau afin de faire de bruyants claquements. La famille d'ours réagit au quart de tour et s'en va à la course! Nous ne sommes plus qu'à quelques encablures d'Oxbow et je reconnais certains pools qui valent vraiment la peine d'être prospectés. Nous nous arrêtons et commençons à pêcher. Nous prenons aussitôt des Arctic chars et aussi nos premiers saumons Silvers du séjour.

Nous atteignons Oxbow en début d'après-midi et avons déjà capturés de nombreux poissons. Les guides ont montés le camp. Nous cassons la croûte en vitesse et passons ensuite notre temps à pêcher par une belle journée ensoleillée. Le cadre est magnifique. Nous sommes dans une grande plaine entourée de collines assez éloignées. Il s'en dégage une sensation de grands espaces infinis. Nous passons finalement trois nuits sur place car nous sommes contraints de rester un jour de plus en raison du vent tempétueux qui s'abat en rafales dans la vallée où nous avons élus domicile. Nous ne pouvons pas prendre le risque de partir car la prochaine section de la rivière que nous devrons franchir est très plate et avec ce satané vent de face, nous n'arriverons tout simplement pas à passer avec nos rafts. Un jour, le vent est si fort qu'une tente s'envole avec à l'intérieur les lits de camps, le matériel et effets personnels de Pierre et François. On la récupère de justesse avant qu'elle ne roule dans la rivière. Nous décidons de la démonter et les malheureux sans abris devront dormir les nuits suivantes dans la grande tente réfectoire. La pêche, quand à elle est extrême. Le vent est si puissant qu'il empêche tout type de lancer avec ma canne à une main de 9 pieds pour soie de 8. Il faut attendre une accalmie pour pouvoir lancer vingt mètres de soie à peu près correctement. Malgré tout, les prises de Silvers se succèdent toujours! De beaux poissons, mordeurs et combatifs à souhait. Le dernier soir, je descends la rivière pour atteindre un beau pool qui selon Pierre, lui à valut de nombreuses prises. Je me positionne et avant de lancer je vois une femelle grizzly avec ses deux petits à environs cent cinquante mètres de moi en aval. Ils ne me voient pas car j'ai le soleil dans mon dos et ne peuvent me sentir car j'ai le vent de face. J'observe la scène et prends quelques photos. Je range l'appareil dans ma veste puis lance mon leurre. Je pêche à peine depuis cinq minutes et en strippant mon streamer en fin de dérive, je ressens une grosse secousse et suis stoppé net. Un Silver! Le combat dure quelques minutes mais cela semble une éternité. En toile de fond, il y a les ours et je suis là, dans la rivière à essayer tant bien que mal de maitriser mon poisson. Je le ramène au bord. Il est beau. Je le décroche et le remet à l'eau. Il repart en trombe. Je regarde vers la droite et les ours sont toujours là. Ils n'ont pas bougés et ne se sont aperçus de rien. Je quitte les lieus sans les déranger. Cette scène me laisse une forte impression. La solitude ambiante est propice à la contemplation. Le soleil couchant m'éblouit. Les milliers de reflets du soleil sur l'eau vive de la rivière apparaissent et disparaissent comme par magie. Le vent est tombé. En remontant au camp, je m'arrête pour pêcher et prend encore deux magnifiques saumons Silvers. La pêche a déjà été si bonne depuis le début du séjour qu'on pourrait s'arrêter là et rentrer à la maison. Mais voilà, on est bloqué là et on touche à peine à la moitié du séjour. Peut-être que le meilleur reste à venir? Tout le groupe est vraiment sympa, et bien entendu être encore une fois guidé par Bernard et Catherine Thompson est un privilège.


Portage

Lundi 23 au mardi 24 septembre. Nous partons de bonheur ce matin car nous avons une longue portion de la rivière à descendre pour atteindre Portage et rejoindre le prochain emplacement où nous camperons ces prochains jours. Nous avons de la chance, le vent est tombé et il fait beau. Nous avons tous rendez-vous à Portage devant la yourte et le chalet qui ont été installés là-bas pour les aficionados du saumon King ou de la truite Steelhead ainsi que pour les chasseurs en automne. Portage est réputé pour être le meilleur endroit pour pêcher la Steelhead en octobre. La portion rectiligne et profonde de la rivière fait que les hydravions peuvent s'y poser et il est possible de commencer la descente de la rivière à partir d'ici jusqu'au lagon. Avec Daniel, au début, on navigue sans grande difficulté et le paysage qui défile est à couper le souffle. De nombreux oiseaux d'eau colonisent cette portion de la Karluk et de nouveau aujourd'hui, il n'y a pas d'exception à la règle. Une multitude de canards, échassiers, mouettes, pygargues, cygnes et oies s'envolent dès notre arrivé et la descente prend une tournure enchanteresse comme si nous étions les premiers à découvrir ces merveilleuses étendues sauvages. Notre embarcation passe au dessus de pools profonds et nous voyons défiler dans l'eau claire des dizaines de saumons Silvers et Arctic chars. Malheureusement, le vent s'est levé et il est tournant. Tantôt nous l'avons de dos ce qui a pour effet de nous propulser et par la même occasion soulager nos bras endoloris par les nombreux coups de pagaies. Tantôt il est de face et les rafales nous plaquent sans pitié sur la berge et nous font carrément reculer! Finalement, nous atteignons Portage sur les douze coups de midi. Nous devons attendre le reste de l'équipe. Il n'y a personne dans la yourte et le chalet. Les derniers du groupe arrivent enfin et Bernard et Catherine nous indiquent que nous mangerons plus tard au lieu dit du ''Trou à Rambaldini''. Nous repartons et passons de grands virages très larges et peu profonds. Le rafting est assez technique car il faut sans cesse éviter des blocs de pierre afin de ne pas rester bêtement planté dessus et devoir à chaque fois descendre du raft pour l'extraire à grande peine de cette mauvaise posture. Dans les secteurs peu profonds, on croise une multitude de petits groupes de Silvers constitués d'une douzaine d'individus qui remontent la rivière à toute vitesse. On peut voir leur dos qui créent des sillons tels des torpilles. La vision de tous ces poissons est tout simplement exaltante et de bonne augure pour la suite de ce séjour de pêche. On arrive finalement à Rambaldini et cassons la croûte. Avec Daniel, nous prenons notre raft et l'échouons sur la berge à une centaine de mettre en aval. Nous commençons à pêcher un courant assez rapide. Nous prenons quelques Artic chars et pour ma part, aussi deux Silvers. J'insiste encore et fait passer mon streamer dans un remous en aval d'une grosse pierre. Bingo! Je tiens ma première Steelhead! A la touche, elle fait aussitôt un saut hors de l'eau et je reconnais instantanément la robe typique de ces belles truites arc-en-ciel anadromes. Le raft de Pierre, François, Niko et Patrick passe justement à proximité quand je m'apprête à échouer le poisson. François me prend en photo. Je suis heureux, j'ai pris maintenant toutes les espèces de poissons qui remontent la Karluk durant cette saison.

Nous arrivons au camp en fin d'après-midi. Les guides ont déjà montés les tentes et nous déposons nos affaires dans nos nouvelles maisons. Je me dépêche car j'ai remarqué une jolie dépression dans le lit de la rivière en amont du camp. Je suis sûr que ce poste bien marqué doit contenir des saumons. Je me positionne puis débute ma prospection. Les touches ne se font pas attendre, je perds deux Silvers d'affilé. L'atmosphère ici est tout simplement magique. Le son du ruissellement de la rivière est si agréable qu'il me berce littéralement. En face de moi, le soleil couchant s'est transformé en une boule de feu et il me réchauffe de ses rayons bienfaisants. Je me sens en parfaite osmose avec les éléments. Le temps semble arrêté. Les moucherons et les poussières en suspensions rendent l'air étincelant. Le soleil, la terre, l'eau et l'air ne font plus qu'un et ma ligne sonde maintenant les profondeurs de la rivière nourricière. Un poisson venu du fin fond de l'océan Pacifique tend son corps élancé à la vue de mon leurre, se jette dessus et jaillit quasi instantanément très haut hors de l'eau. J'ai à peine le temps de ferrer. Pour moi, c'est le plus beau poisson du monde parce qu'il représente tout ce que j'ai rêvé pendant des mois avant de venir ici. Le saumon saute encore et prend du fil, j'arrive sur le backing. Il ne semble pas vouloir faiblir. La tension sur la ligne est très forte car le courant est puissant. Les pierres se dérobent sous mes chaussures de wading et je dois me méfier de ne pas glisser. Je n'aimerais pas le perdre ce poisson car il incarne mon rêve et j'aimerais le prendre dans mes mains et ensuite le relâcher. Il saute encore plusieurs fois. Il a de beaux reflets métalliques sous les rayons du soleil. Soudain, il décide de remonter la rivière à toute vitesse. Je n'arrive pas à le suivre et ai de la peine à rembobiner toute ma ligne. Elle pend lamentablement sur l'eau. Il n'y a rien de pire pour perdre un poisson. J'arrive enfin à reprendre le contact et mon saumon est encore bel et bien au bout. Il est grand et robuste. Il repart vers l'aval. Mon moulinet se remet à siffler et j'ai de la peine à freiner mon saumon dans sa course. J'ai oublié tout ce qui m'entoure. Il n'y a plus que lui et moi et entre nous ma canne avec un moulinet, ma ligne et pour nous relier ensembles un hameçon avec des plumes attachés dessus. Le saumon commence à faiblir. Je me déplace lentement à reculons vers la berge qui est derrière moi à une quinzaine de mètres. J'arrive enfin vers le bord mais il repart de plus belle. Je le retiens dans sa course et le ramène dans mes pieds. Il se met sur le côté. Ce saumon Silver est le plus beau du monde. Il est frais et porte encore des poux de mer. Je le décroche rapidement et le glisse doucement dans l'eau. Il repart à toute vitesse. Le soleil s'est couché. Il est temps de regagner le camp la tête pleine d'images magnifiques. Nous passons une nuit agréable et réparatrice sur ce nouveau camp. Toute la troupe se lève en général vers huit heures du matin car plus tôt, il fait encore trop sombre. On entend le bruit des premières fermetures éclaires qui ouvrent les tentes et les premiers levés vont prendre leur petit déjeuner. Je sors de mon sac de couchage, prends ma serviette, mon peigne et mon savon puis vais me laver au ruisseau qui est à deux pas du camp. Quel bonheur et comme il est agréable de faire sa toilette ainsi! Il n'y a rien de tel pour se revigorer le corps dans la fraîcheur du petit matin.



Je me dirige ensuite vers la tente réfectoire pour prendre mon petit déjeuner. J'entre et aussitôt une bonne odeur de café chaud effleure mes narines. Bernard nous toast le pain et réchauffe les croissants avec son petit four pliable installé sur le réchaud à gaz. Il règne une joyeuse atmosphère dans la tente. On se régale copieusement avec de bonnes confitures. Il est temps de se brosser les dents et de passer les waders. Il y a de beaux pools en aval. Plusieurs d'entre-nous décident de s'y rendre. Nous pêchons tout d'abords le courant en face du camp et Daniel prend coup sur coup deux magnifiques Silvers frais de mer. Nous les conservons. Ils feront amplement l'affaire pour le dîner. De mon côté, je décroche plusieurs Silvers à chaque fois juste après le ferrage. Daniel ne semble pas vouloir décoller du coin et je décide donc de descendre la rivière seul. Sur la rive d'en face, plus en aval, Patrick sort quelques poissons. J'atteins finalement un grand courant où Pierre est déjà en train de pêcher. Il prend régulièrement des Silvers en pêchant amont et en faisant dériver sont streamer couleur chartreuse près du fond. Je pêche pour ma part plein travers ou légèrement aval. J'insiste mais je reste bel et bien bredouille! Pierre est de nouveau pendu à un beau poisson. Je le prends en photo. Il est l'heure de monter vers le camp pour se remplir la panse. Je me dépêche de manger puis décide de descendre tout seul encore plus en aval que ce matin. Les nuages son bas. Il a commencé à pleuvoir. J'atteins le pool où Pierre a pris ses Silvers mais je décide de ne pas m'arrêter et traverse la rivière pour rester rive gauche puis ensuite bifurquer à nouveau sur la rive droite pour marcher sur la berge car il est plus facile d'évoluer sur les pistes faites par les ours. La configuration de la rivière m'oblige de traverser à nouveau pour ensuite continuer mon chemin sur la rive gauche et j'atteins finalement un lieu qui s'appel Canoe Rock. Cet endroit s'appel ainsi car un gros rocher bien lisse de couleur beige qui a la forme d’un canoë couché sur le flanc gît ici au milieu du lit de la rivière. Il est là où le courant est le plus fort et les pierres ont dues le polir depuis la nuit des temps pour qu'il ait une forme si parfaite. Le poste est intéressant car le gros remous derrière le rocher peut certainement abriter des salmonidés. Je débute ma prospection et un poisson prend ma mouche après quelques passages seulement. Il s'agit d'une petite Steelhead. Je la décroche puis je continue ma prospection mais sans succès. Je regarde de temps en temps derrière moi pour voir s'il y a un ours dans les parages car avec le bruit de la rivière et la capuche sur la tête je ne pourrais pas l'entendre arriver. J'ai mon spray au poivre urticant facilement accessible dans mon gilet dans le cas ou un des ces géants de Kodiak aurait la mauvaise idée de venir m'importuner. Je regarde la poignée du spray dépasser légèrement de mon gilet et cela suffit à me rassurer. A côté de Canoe Rock, il y a un autre bloc de couleur grise assez près de la berge et le remous entre-deux me parait assez propice. Je lance une fois et effectue un premier passage, je lance une seconde fois et une grosse secousse se fait ressentir dans la poignée de ma canne. Une silhouette saute hors de l'eau et la Steelhead part dans le courant. Mon moulinet se met à siffler et je maîtrise le poisson de manière à ce qu'il ne prenne pas le gros du courant. Je traverse la rivière avec peine puis conduit le poisson là où il y a peu de fond. Je dois le tenir par la queue dans l'eau car la berge est abrupte. Je mesure le poisson avec ma canne et je constate avec plaisir qu'il avoisine les quatre-vingts centimètres. Je le décroche, le tiens un moment face au courant puis il repart tranquillement en eaux profondes.



Dans le canyon et jusqu’au lagon

Mercredi 25 au samedi 28 septembre. Nous quittons notre troisième campement pour atteindre un secteur de la rivière beaucoup plus rapide jonché de nombreux rochers et encaissé dans un canyon. Ce secteur offre la grande opportunité de voir facilement des aigles pygargues et des cerfs Sitka. Nous atteignons le nouvel emplacement sous une pluie battante et le niveau de la rivière a passablement gonflé. Nous montons le camp sur une berge quasiment au même niveau de la rivière. Nous espérons qu'il cessera de pleuvoir durant la nuit car nous n'aimerions pas nous lever le matin les pieds dans l'eau! L'eau de la rivière s'est teintée et de nombreuses plantes aquatiques arrachées par la montée des eaux dérivent avec le courant. Le lendemain matin, un timide soleil accompagné de gros nuages blancs succède à la pluie. Un ours passe sur la berge d'en face de manière totalement désintéressée. Nous avons tout le loisir de l'observer car nous le suivons en remontant la rivière en toute sécurité de notre côté. Nous prenons de nombreux poissons dans de petites veines d'eau, derrière des rochers ou simplement près des berges creuses ou encore dans les dépressions du fond de la rivière sur des postes où le courant n'est pas trop fort. On prend de tout, des Steelheads, des Artic chars, des Sockeye et des Silvers arborant des couleurs métalliques ponctués de poux de mer. En fin d'après-midi, la pluie se remet à tomber à grosses gouttes de manière ininterrompue et cela pour les deux jours suivants. La rivière monte de plus en plus. La pêche devient de moins en moins fructueuse. Le samedi matin, alors que nous devons normalement lever le camp pour passer la dernière nuit au lagon, Catherine nous annonce qu'elle a contacté avec le téléphone satellite l'équipe d'Andrew Airways pour avoir des nouvelles de la météo. Ils lui annoncent que le temps pour aujourd'hui, samedi et dimanche sera exécrable, et qu'un avis de tempête a même été annoncé pour le week-end. Dans ces conditions, ils ne voleront pas. D'un commun accord, nous prenons la décision de partir de suite, de ne pas dormir au lagon et atteindre aujourd'hui le site de ramassage un peu plus en aval. Il faut faire le forcing auprès d'Andrew pour qu'ils viennent nous chercher dans la journée car si nous restons bloqués deux jours sur place, nous manquerons notre vol de retour pour Anchorage et donc celui pour rentrer en Europe!

Après une longue descente sans difficulté dans les rapides, nous atteignons finalement le lagon. Catherine, au téléphone, organise le pick up avec Andrew. Elle leur explique avec insistance que le temps ici n'est pas mauvais et qu'il n'y a pas de vent. Finalement, ils acceptent de venir nous chercher. Nous dégonflons les rafts puis rangeons tout le matériel afin d'être prêt à le charger dans les hydravions. Un bruit de moteur se fait entendre au loin et le premier hydravion surgit au dessus de la colline dans un bruit fracassant. Il tourne une fois autour du lagon puis vient se poser devant nous. Nous aidons le pilote au chargement et dix minutes plus tard le premier groupe s'envole vers la ville de Kodiak. Bientôt se sera mon tour. Je quitterai cet univers paisible et sauvage pour rentrer dans la civilisation. Le deuxième Beaver arrive une heure plus tard et le deuxième groupe s'en va peu de temps après. Je suis en compagnie de Bernard et Jérôme. Le troisième Beaver sera pour Bernard et moi. Jérôme sera le dernier à partir.



Je sors mes jumelles pour observer une femelle grizzly avec ses trois petits oursons nés cette année. La petite troupe se ballade au bord du lagon. Je prends quelques photos. Ils s'approchent à une quinzaine de mètres sur la bute au dessus de nous et nous regardent avec curiosité. Nous les chassons en clapant des mains et en leur parlant bruyamment. Ils se retournent pour suivre leur bonhomme de chemin. Le troisième Beaver arrive et se pose. Le pilote s'appel Mark et nous l'aidons à charger son oiseau de fer. Bernard monte à côté du pilote. Je prends ma place à l'arrière, contre la fenêtre. Je passe le casque avec le micro. Mark nous explique les consignes de sécurité tout en démarrant le moteur. On échange quelques mots pour se présenter et il met aussitôt les gazs à fond. Nous prenons de la vitesse puis décollons en plein virage. Nous survolons le petit village de Karluk puis retournons vers le lagon. Le quatrième hydravion de Jérôme, un Cessna 206, vient de se poser pour récupérer le reste de nos affaires. Nous survolons la célèbre Karluk en passant dans le canyon. Je la vois déjà comme dans un flashback. On dirait que l’on remonte le temps.

Les images de ce séjour se bousculent dans ma tête à toute vitesse. On vole depuis cinq minutes puis on tourne à gauche en direction de Larsen Bay. Le lac Karluk est à ma droite. Nous passons par l'intérieur de l'île et les paysages qui défilent sont tout simplement époustouflants. C'est une succession majestueuse de montagnes et forêts, de glaciers, lacs et rivières, de fjords et de belles plages donnant sur l’océan Pacifique. Cet univers sublime se déroule devant nous sans avoir changé depuis des temps immémoriaux. Ainsi s’achève ce voyage intemporel en terres arctiques au cœur d’un écosystème remarquable, préservé et encore sauvage. Je reviendrai, j’en suis sûr.


Angelo Apperti

Ecrit le 30 octobre 2013