Voici la version intégrale de mon
récit du séjour de pêche en Alaska qui a eu lieu durant le mois de septembre.
Je pense que cet article ne nécessite pas d'être illustré par des images car,
vous vous en apercevrez vous-même, il est en quelque sorte lui-même déjà suffisamment
imagé. A mon avis, il condense à lui seul toute la magie que la nature sauvage
peut offrir à un pêcheur désireux de découvrir un environnement remarquable
et encore relativement bien préservé de toutes détériorations humaines.
Je tiens tout particulièrement à
remercier l'équipe d'Alaskaevasion, Bernard et Catherine Thompson ainsi que
Jérôme pour avoir rendu possible ce magnifique séjour sur l'île de Kodiak.
Bonne lecture!
Angelo
La Karluk à Oxbow |
Le voyage intemporel sur l'île de Kodiak
''Un voyage se passe de motifs. Il ne
tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un
voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait.'' C'est
dans cette citation de Nicolas Bouvier que se résume ou presque mon quatrième
séjour de pêche sur la rivière Karluk qui se situe sur la fameuse île de Kodiak
en Alaska.
Le lac Karluk
Nous sommes le mercredi 19 septembre
2013. Nous arrivons en hydravion sur le lac Karluk, là où la rivière du même
nom prend naissance. Nous montons le camp à proximité de la rive et nous nous
apprêtons à passer une douzaine de jours dans le bush en totale autonomie, loin
de toute civilisation. Nous mangerons les vivres que les guides Bernard, Catherine
et leur aide Jérôme, ont emportés avec eux et aussi les poissons que nous
capturerons durant notre périple. Le dernier hydravion De Havilland Beaver s'en
va et le bruit typique de son moteur en étoile à neuf cylindres laisse place maintenant
au silence. On entend le clapotement de l'eau translucide sur la berge et de
temps en temps le claquement des Sockeyes sautant en l'air. Ceux-ci sont en
train de frayer et les berges peu profondes du lac sont par endroit littéralement
envahies de poissons. La rivière quand à elle, prend naissance à une centaine
de mètres du camp et le spectacle qu'offre les milliers de Sockeyes présents
est saisissant. La rivière bouillonne de poissons. Avec les autres membres du groupe,
nous observons la scène avec nos lunettes polarisantes. De nombreux ombles
arctiques se faufilent entre les Sockeye pour se nourrir de leurs œufs fécondés
et fraichement déposés sur le lit de la Karluk constitué de petits galets. Un ours
passe juste devant le camp. Il n'est pas très grand, c'est un jeune de quatre
ou cinq ans. Il est timide. Il a la tête basse et ne regarde pas vers nous. Au
loin, la végétation sur les collines arbore des couleurs d'automne magnifiques.
On est en Alaska, au milieu de nul part au bord d'une rivière pleine de poissons
et tout le reste maintenant n'a plus d'importance. Le temps s'est arrêté et les
préoccupations rattachées au monde civilisé ne sont plus qu'un lointain
souvenir.
Les plus impatients ont vite fait de
monter leurs cannes et les premières prises ne se font pas attendre. Dans le
lac, une grande quantité de Dolly Vardens en quête d'œufs de saumons se fait
prendre par nos leurres. Leur défense est incroyable et spectaculaire par
rapport à leur taille. Certains gros individus avoisinent sans problème deux
kilos et sont littéralement gavés d'œufs et lorsque on les décroche, ils en
régurgitent beaucoup. Nous relâchons la plupart d'entre eux mais nous en
gardons quelques-uns pour le souper. La pêche plus en aval dans la rivière est
toute une autre affaire car l'imposante quantité de Sockeyes présents empêche
toute dérive digne de ce nom car chaque passage avec nos streamers se conclu en
général par un poisson harponné. De plus, on est vraiment sur un site de fraie
et il est bien plus intéressant d'observer leur ébats nuptiaux et mettre ici la
pêche entre parenthèse. La luminosité commence à diminuer. Il est temps de
rentrer au camp et de passer à table afin de déguster la fameuse soupe du bush
préparée par Bernard et aussi se régaler des poissons pêchés durant la journée.
Nous passons une agréable soirée au bord du lac. Nous regagnons nos lits de
camp dans nos tentes avec des pas rendus hésitants par le Whisky, le vin et
l'obscurité de la nuit boréale.
Le lendemain, nous passons toute la
journée à traquer les Dollies du lac et nous en prenons en quantité. Je pêche
avec une soie intermédiaire et un Polar Shrimp. Cette combinaison s'avère d'une
grande efficacité. Les poissons ne sont pas en profondeur car il fait beau et
le soleil a réchauffé les eaux superficielles rapidement. J'utilise mes
lunettes polarisantes et vois littéralement des bancs de Dollies passer à
proximité des frayères de Sockeyes. Je lance le plus rapidement possible en
direction des poissons. Cela se traduit à chaque fois par une attaque franche sur
mon streamer. Après une journée de pêche bien remplie, je décide de consacrer
un peu de temps à l'observation de la faune et je troque ma canne pour mes
jumelles dans l'espoir de voir un ours. Je n'ai pas besoin d'aller très loin
car la petite bute à deux pas du camp est le point culminant du coin. Je scrute
l'horizon en regardant en aval en direction de la rivière, je vois deux grizzlys
qui courent dans l'eau. Les nombreuses mouettes qui tournoient autour d'eux me
font penser que des Sockeyes doivent frayer dans le secteur et bien entendu les
ours en profitent pour s'en gaver. A une trentaine de mètres de là, je vois un
photographe avec son trépied et son énorme téléobjectif en train de prendre des
photographies. Ah voilà, c'est là que se trouve l'équipe de photographes qui
réside dans le petit chalet juste à côté de notre camp! Ils n'ont pas froids aux
yeux, les bougres. Les autres participants du séjour me rejoignent et nous
observons ensembles par une belle lumière crépusculaire les ours en quête de
nourriture entourés d'une nuée de mouette à la recherche de carcasses de
saumons.
Oxbow
Vendredi 20 au dimanche 22 septembre.
Nous levons le camp en milieu de matinée après un excellent petit déjeuner puis
partons pour rejoindre un lieu s'appelant Oxbow. C'est le meilleur spot pour la
pêche du Silver. S'il y en a bien sûr... Mon coéquipier de raft s'appel Daniel
et je partage également ma tente avec lui ainsi qu'avec Jérôme. La descente de
la rivière est paisible car cette portion du cours d'eau est relativement plate,
méandreuse et aussi marécageuse. Le niveau de la rivière n'est pas
exceptionnellement haut et nous devons tirer de temps en temps le raft car la
rivière au début est large et peu profonde. Nous dépassons la première équipe
qui était partie avant nous. Elle est constituée de François, Pierre, Patrick
et Niko. Nous avons de la chance d'avoir pu les dépasser car si un ours sera
sur notre passage nous aurons tout le loisir de nous arrêter puis de l'observer
en premier. Nous progressons maintenant sans peine car le lit de la Karluk est
plus étroit et les pools deviennent de plus en plus profonds. Soudain, en
arrivant dans un nouveau pool, je vois un petit ourson puis un deuxième sur un
banc de gravier à environ vingt-cinq mètres de nous. Je ne vois pas leur mère.
Les oursons nous aperçoivent et se mettent à souffler bruyamment. Aussitôt,
leur mère sort des herbes justes à côté de ses petits puis se met sur les deux
pattes arrière afin de nous observer. Nous n'arrivons pas à arrêter le raft et
nous nous approchons rapidement des ours. En un éclair, j'empoigne ma pagaie à
deux mains et je tape violement sur l'eau afin de faire de bruyants
claquements. La famille d'ours réagit au quart de tour et s'en va à la course! Nous
ne sommes plus qu'à quelques encablures d'Oxbow et je reconnais certains pools
qui valent vraiment la peine d'être prospectés. Nous nous arrêtons et
commençons à pêcher. Nous prenons aussitôt des Arctic chars et aussi nos
premiers saumons Silvers du séjour.
Nous atteignons Oxbow en début
d'après-midi et avons déjà capturés de nombreux poissons. Les guides ont montés
le camp. Nous cassons la croûte en vitesse et passons ensuite notre temps à
pêcher par une belle journée ensoleillée. Le cadre est magnifique. Nous sommes
dans une grande plaine entourée de collines assez éloignées. Il s'en dégage une
sensation de grands espaces infinis. Nous passons finalement trois nuits sur
place car nous sommes contraints de rester un jour de plus en raison du vent
tempétueux qui s'abat en rafales dans la vallée où nous avons élus domicile. Nous
ne pouvons pas prendre le risque de partir car la prochaine section de la
rivière que nous devrons franchir est très plate et avec ce satané vent de
face, nous n'arriverons tout simplement pas à passer avec nos rafts. Un jour,
le vent est si fort qu'une tente s'envole avec à l'intérieur les lits de camps,
le matériel et effets personnels de Pierre et François. On la récupère de
justesse avant qu'elle ne roule dans la rivière. Nous décidons de la démonter
et les malheureux sans abris devront dormir les nuits suivantes dans la grande
tente réfectoire. La pêche, quand à elle est extrême. Le vent est si puissant
qu'il empêche tout type de lancer avec ma canne à une main de 9 pieds pour soie
de 8. Il faut attendre une accalmie pour pouvoir lancer vingt mètres de soie à
peu près correctement. Malgré tout, les prises de Silvers se succèdent toujours!
De beaux poissons, mordeurs et combatifs à souhait. Le dernier soir, je descends
la rivière pour atteindre un beau pool qui selon Pierre, lui à valut de
nombreuses prises. Je me positionne et avant de lancer je vois une femelle
grizzly avec ses deux petits à environs cent cinquante mètres de moi en aval. Ils
ne me voient pas car j'ai le soleil dans mon dos et ne peuvent me sentir car
j'ai le vent de face. J'observe la scène et prends quelques photos. Je range
l'appareil dans ma veste puis lance mon leurre. Je pêche à peine depuis cinq
minutes et en strippant mon streamer en fin de dérive, je ressens une grosse secousse
et suis stoppé net. Un Silver! Le combat dure quelques minutes mais cela semble
une éternité. En toile de fond, il y a les ours et je suis là, dans la rivière
à essayer tant bien que mal de maitriser mon poisson. Je le ramène au bord. Il
est beau. Je le décroche et le remet à l'eau. Il repart en trombe. Je regarde
vers la droite et les ours sont toujours là. Ils n'ont pas bougés et ne se sont
aperçus de rien. Je quitte les lieus sans les déranger. Cette scène me laisse
une forte impression. La solitude ambiante est propice à la contemplation. Le
soleil couchant m'éblouit. Les milliers de reflets du soleil sur l'eau vive de
la rivière apparaissent et disparaissent comme par magie. Le vent est tombé. En
remontant au camp, je m'arrête pour pêcher et prend encore deux magnifiques
saumons Silvers. La pêche a déjà été si bonne depuis le début du séjour qu'on
pourrait s'arrêter là et rentrer à la maison. Mais voilà, on est bloqué là et on
touche à peine à la moitié du séjour. Peut-être que le meilleur reste à venir?
Tout le groupe est vraiment sympa, et bien entendu être encore une fois guidé
par Bernard et Catherine Thompson est un privilège.
Portage
Lundi 23 au mardi 24 septembre. Nous
partons de bonheur ce matin car nous avons une longue portion de la rivière à
descendre pour atteindre Portage et rejoindre le prochain emplacement où nous
camperons ces prochains jours. Nous avons de la chance, le vent est tombé et il
fait beau. Nous avons tous rendez-vous à Portage devant la yourte et le chalet qui
ont été installés là-bas pour les aficionados du saumon King ou de la truite
Steelhead ainsi que pour les chasseurs en automne. Portage est réputé pour être
le meilleur endroit pour pêcher la Steelhead en octobre. La portion rectiligne
et profonde de la rivière fait que les hydravions peuvent s'y poser et il est
possible de commencer la descente de la rivière à partir d'ici jusqu'au lagon.
Avec Daniel, au début, on navigue sans grande difficulté et le paysage qui
défile est à couper le souffle. De nombreux oiseaux d'eau colonisent cette
portion de la Karluk et de nouveau aujourd'hui, il n'y a pas d'exception à la
règle. Une multitude de canards, échassiers, mouettes, pygargues, cygnes et
oies s'envolent dès notre arrivé et la descente prend une tournure
enchanteresse comme si nous étions les premiers à découvrir ces merveilleuses étendues
sauvages. Notre embarcation passe au dessus de pools profonds et nous voyons
défiler dans l'eau claire des dizaines de saumons Silvers et Arctic chars.
Malheureusement, le vent s'est levé et il est tournant. Tantôt nous l'avons de
dos ce qui a pour effet de nous propulser et par la même occasion soulager nos
bras endoloris par les nombreux coups de pagaies. Tantôt il est de face et les
rafales nous plaquent sans pitié sur la berge et nous font carrément reculer!
Finalement, nous atteignons Portage sur les douze coups de midi. Nous devons attendre
le reste de l'équipe. Il n'y a personne dans la yourte et le chalet. Les
derniers du groupe arrivent enfin et Bernard et Catherine nous indiquent que
nous mangerons plus tard au lieu dit du ''Trou à Rambaldini''. Nous repartons
et passons de grands virages très larges et peu profonds. Le rafting est assez
technique car il faut sans cesse éviter des blocs de pierre afin de ne pas
rester bêtement planté dessus et devoir à chaque fois descendre du raft pour
l'extraire à grande peine de cette mauvaise posture. Dans les secteurs peu
profonds, on croise une multitude de petits groupes de Silvers constitués d'une
douzaine d'individus qui remontent la rivière à toute vitesse. On peut voir
leur dos qui créent des sillons tels des torpilles. La vision de
tous ces poissons est tout simplement exaltante et de bonne augure pour la
suite de ce séjour de pêche. On arrive finalement à Rambaldini et cassons la
croûte. Avec Daniel, nous prenons notre raft et l'échouons sur la berge à une
centaine de mettre en aval. Nous commençons à pêcher un courant assez rapide. Nous
prenons quelques Artic chars et pour ma part, aussi deux Silvers. J'insiste
encore et fait passer mon streamer dans un remous en aval d'une grosse pierre.
Bingo! Je tiens ma première Steelhead! A la touche, elle fait aussitôt un saut
hors de l'eau et je reconnais instantanément la robe typique de ces belles
truites arc-en-ciel anadromes. Le raft de Pierre, François, Niko et Patrick
passe justement à proximité quand je m'apprête à échouer le poisson. François
me prend en photo. Je suis heureux, j'ai pris maintenant toutes les espèces de
poissons qui remontent la Karluk durant cette saison.
Nous arrivons au camp en fin
d'après-midi. Les guides ont déjà montés les tentes et nous déposons nos
affaires dans nos nouvelles maisons. Je me dépêche car j'ai remarqué une jolie
dépression dans le lit de la rivière en amont du camp. Je suis sûr que ce poste
bien marqué doit contenir des saumons. Je me positionne puis débute ma
prospection. Les touches ne se font pas attendre, je perds deux Silvers
d'affilé. L'atmosphère ici est tout simplement magique. Le son du ruissellement
de la rivière est si agréable qu'il me berce littéralement. En face de moi, le
soleil couchant s'est transformé en une boule de feu et il me réchauffe de ses
rayons bienfaisants. Je me sens en parfaite osmose avec les éléments. Le temps
semble arrêté. Les moucherons et les poussières en suspensions rendent l'air
étincelant. Le soleil, la terre, l'eau et l'air ne font plus qu'un et ma ligne
sonde maintenant les profondeurs de la rivière nourricière. Un poisson venu du
fin fond de l'océan Pacifique tend son corps élancé à la vue de mon leurre, se
jette dessus et jaillit quasi instantanément très haut hors de l'eau. J'ai à
peine le temps de ferrer. Pour moi, c'est le plus beau poisson du monde parce
qu'il représente tout ce que j'ai rêvé pendant des mois avant de venir ici. Le
saumon saute encore et prend du fil, j'arrive sur le backing. Il ne semble pas
vouloir faiblir. La tension sur la ligne est très forte car le courant est
puissant. Les pierres se dérobent sous mes chaussures de wading et je dois me
méfier de ne pas glisser. Je n'aimerais pas le perdre ce poisson car il incarne
mon rêve et j'aimerais le prendre dans mes mains et ensuite le relâcher. Il
saute encore plusieurs fois. Il a de beaux reflets métalliques sous les rayons
du soleil. Soudain, il décide de remonter la rivière à toute vitesse. Je
n'arrive pas à le suivre et ai de la peine à rembobiner toute ma ligne. Elle
pend lamentablement sur l'eau. Il n'y a rien de pire pour perdre un poisson.
J'arrive enfin à reprendre le contact et mon saumon est encore bel et bien au
bout. Il est grand et robuste. Il repart vers l'aval. Mon moulinet se remet à
siffler et j'ai de la peine à freiner mon saumon dans sa course. J'ai oublié
tout ce qui m'entoure. Il n'y a plus que lui et moi et entre nous ma canne avec
un moulinet, ma ligne et pour nous relier ensembles un hameçon avec des plumes
attachés dessus. Le saumon commence à faiblir. Je me déplace lentement à
reculons vers la berge qui est derrière moi à une quinzaine de mètres. J'arrive
enfin vers le bord mais il repart de plus belle. Je le retiens dans sa course
et le ramène dans mes pieds. Il se met sur le côté. Ce saumon Silver est le
plus beau du monde. Il est frais et porte encore des poux de mer. Je le
décroche rapidement et le glisse doucement dans l'eau. Il repart à toute
vitesse. Le soleil s'est couché. Il est temps de regagner le camp la tête
pleine d'images magnifiques. Nous passons une nuit agréable et réparatrice
sur ce nouveau camp. Toute la troupe se lève en général vers huit heures du
matin car plus tôt, il fait encore trop sombre. On entend le bruit des
premières fermetures éclaires qui ouvrent les tentes et les premiers levés vont
prendre leur petit déjeuner. Je sors de mon sac de couchage, prends ma
serviette, mon peigne et mon savon puis vais me laver au ruisseau qui est à
deux pas du camp. Quel bonheur et comme il est agréable de faire sa toilette
ainsi! Il n'y a rien de tel pour se revigorer le corps dans la fraîcheur du
petit matin.
Je me dirige ensuite vers la tente
réfectoire pour prendre mon petit déjeuner. J'entre et aussitôt une bonne odeur
de café chaud effleure mes narines. Bernard nous toast le pain et réchauffe les
croissants avec son petit four pliable installé sur le réchaud à gaz. Il règne
une joyeuse atmosphère dans la tente. On se régale copieusement avec de bonnes
confitures. Il est temps de se brosser les dents et de passer les waders. Il y
a de beaux pools en aval. Plusieurs d'entre-nous décident de s'y rendre. Nous
pêchons tout d'abords le courant en face du camp et Daniel prend coup sur coup
deux magnifiques Silvers frais de mer. Nous les conservons. Ils feront
amplement l'affaire pour le dîner. De mon côté, je décroche plusieurs Silvers à
chaque fois juste après le ferrage. Daniel ne semble pas vouloir décoller du
coin et je décide donc de descendre la rivière seul. Sur la rive d'en face,
plus en aval, Patrick sort quelques poissons. J'atteins finalement un grand
courant où Pierre est déjà en train de pêcher. Il prend régulièrement des Silvers
en pêchant amont et en faisant dériver sont streamer couleur chartreuse près du
fond. Je pêche pour ma part plein travers ou légèrement aval. J'insiste mais je
reste bel et bien bredouille! Pierre est de nouveau pendu à un beau poisson. Je
le prends en photo. Il est l'heure de monter vers le camp pour se remplir la panse.
Je me dépêche de manger puis décide de descendre tout seul encore plus en aval
que ce matin. Les nuages son bas. Il a commencé à pleuvoir. J'atteins le pool
où Pierre a pris ses Silvers mais je décide de ne pas m'arrêter et traverse la
rivière pour rester rive gauche puis ensuite bifurquer à nouveau sur la rive
droite pour marcher sur la berge car il est plus facile d'évoluer sur les
pistes faites par les ours. La configuration de la rivière m'oblige de traverser
à nouveau pour ensuite continuer mon chemin sur la rive gauche et j'atteins
finalement un lieu qui s'appel Canoe Rock. Cet endroit s'appel ainsi car un
gros rocher bien lisse de couleur beige qui a la forme d’un canoë couché sur le
flanc gît ici au milieu du lit de la rivière. Il est là où le courant est le
plus fort et les pierres ont dues le polir depuis la nuit des temps pour qu'il
ait une forme si parfaite. Le poste est intéressant car le gros remous derrière
le rocher peut certainement abriter des salmonidés. Je débute ma prospection et
un poisson prend ma mouche après quelques passages seulement. Il s'agit d'une petite
Steelhead. Je la décroche puis je continue ma prospection mais sans succès. Je
regarde de temps en temps derrière moi pour voir s'il y a un ours dans les
parages car avec le bruit de la rivière et la capuche sur la tête je ne
pourrais pas l'entendre arriver. J'ai mon spray au poivre urticant facilement
accessible dans mon gilet dans le cas ou un des ces géants de Kodiak aurait la
mauvaise idée de venir m'importuner. Je regarde la poignée du spray dépasser
légèrement de mon gilet et cela suffit à me rassurer. A côté de Canoe Rock, il
y a un autre bloc de couleur grise assez près de la berge et le remous
entre-deux me parait assez propice. Je lance une fois et effectue un premier
passage, je lance une seconde fois et une grosse secousse se fait ressentir
dans la poignée de ma canne. Une silhouette saute hors de l'eau et la Steelhead
part dans le courant. Mon moulinet se met à siffler et je maîtrise le poisson
de manière à ce qu'il ne prenne pas le gros du courant. Je traverse la rivière
avec peine puis conduit le poisson là où il y a peu de fond. Je dois le tenir
par la queue dans l'eau car la berge est abrupte. Je mesure le poisson avec ma
canne et je constate avec plaisir qu'il avoisine les quatre-vingts centimètres.
Je le décroche, le tiens un moment face au courant puis il repart
tranquillement en eaux profondes.
Dans le canyon et jusqu’au lagon
Mercredi 25 au samedi 28 septembre.
Nous quittons notre troisième campement pour atteindre un secteur de la rivière
beaucoup plus rapide jonché de nombreux rochers et encaissé dans un canyon. Ce
secteur offre la grande opportunité de voir facilement des aigles pygargues et
des cerfs Sitka. Nous atteignons le nouvel emplacement sous une pluie battante
et le niveau de la rivière a passablement gonflé. Nous montons le camp sur une
berge quasiment au même niveau de la rivière. Nous espérons qu'il cessera de
pleuvoir durant la nuit car nous n'aimerions pas nous lever le matin les pieds
dans l'eau! L'eau de la rivière s'est teintée et de nombreuses plantes
aquatiques arrachées par la montée des eaux dérivent avec le courant. Le
lendemain matin, un timide soleil accompagné de gros nuages blancs succède à la
pluie. Un ours passe sur la berge d'en face de manière totalement
désintéressée. Nous avons tout le loisir de l'observer car nous le suivons en
remontant la rivière en toute sécurité de notre côté. Nous prenons de nombreux
poissons dans de petites veines d'eau, derrière des rochers ou simplement près
des berges creuses ou encore dans les dépressions du fond de la rivière sur des
postes où le courant n'est pas trop fort. On prend de tout, des Steelheads, des
Artic chars, des Sockeye et des Silvers arborant des couleurs métalliques ponctués
de poux de mer. En fin d'après-midi, la pluie se remet à tomber à grosses
gouttes de manière ininterrompue et cela pour les deux jours suivants. La rivière
monte de plus en plus. La pêche devient de moins en moins fructueuse. Le samedi
matin, alors que nous devons normalement lever le camp pour passer la dernière nuit
au lagon, Catherine nous annonce qu'elle a contacté avec le téléphone satellite
l'équipe d'Andrew Airways pour avoir des nouvelles de la météo. Ils lui
annoncent que le temps pour aujourd'hui, samedi et dimanche sera exécrable, et qu'un
avis de tempête a même été annoncé pour le week-end. Dans ces conditions, ils ne
voleront pas. D'un commun accord, nous prenons la décision de partir de suite,
de ne pas dormir au lagon et atteindre aujourd'hui le site de ramassage un peu
plus en aval. Il faut faire le forcing auprès d'Andrew pour qu'ils viennent
nous chercher dans la journée car si nous restons bloqués deux jours sur place,
nous manquerons notre vol de retour pour Anchorage et donc celui pour rentrer
en Europe!
Après une longue descente sans difficulté
dans les rapides, nous atteignons finalement le lagon. Catherine, au téléphone,
organise le pick up avec Andrew. Elle leur explique avec insistance que le
temps ici n'est pas mauvais et qu'il n'y a pas de vent. Finalement, ils
acceptent de venir nous chercher. Nous dégonflons les rafts puis rangeons tout
le matériel afin d'être prêt à le charger dans les hydravions. Un bruit de
moteur se fait entendre au loin et le premier hydravion surgit au dessus de la
colline dans un bruit fracassant. Il tourne une fois autour du lagon puis vient
se poser devant nous. Nous aidons le pilote au chargement et dix minutes plus
tard le premier groupe s'envole vers la ville de Kodiak. Bientôt se sera mon
tour. Je quitterai cet univers paisible et sauvage pour rentrer dans la
civilisation. Le deuxième Beaver arrive une heure plus tard et le deuxième
groupe s'en va peu de temps après. Je suis en compagnie de Bernard et Jérôme.
Le troisième Beaver sera pour Bernard et moi. Jérôme sera le dernier à partir.
Je sors mes jumelles pour observer
une femelle grizzly avec ses trois petits oursons nés cette année. La petite
troupe se ballade au bord du lagon. Je prends quelques photos. Ils s'approchent
à une quinzaine de mètres sur la bute au dessus de nous et nous regardent avec
curiosité. Nous les chassons en clapant des mains et en leur parlant
bruyamment. Ils se retournent pour suivre leur bonhomme de chemin. Le troisième
Beaver arrive et se pose. Le pilote s'appel Mark et nous l'aidons à charger son
oiseau de fer. Bernard monte à côté du pilote. Je prends ma place à l'arrière,
contre la fenêtre. Je passe le casque avec le micro. Mark nous explique les
consignes de sécurité tout en démarrant le moteur. On échange quelques mots
pour se présenter et il met aussitôt les gazs à fond. Nous prenons de la vitesse
puis décollons en plein virage. Nous survolons le petit village de Karluk puis
retournons vers le lagon. Le quatrième hydravion de Jérôme, un Cessna 206,
vient de se poser pour récupérer le reste de nos affaires. Nous survolons la
célèbre Karluk en passant dans le canyon. Je la vois déjà comme dans un flashback.
On dirait que l’on remonte le temps.
Les images de ce séjour se bousculent dans
ma tête à toute vitesse. On vole depuis cinq minutes puis on tourne à gauche en
direction de Larsen Bay. Le lac Karluk est à ma droite. Nous passons par
l'intérieur de l'île et les paysages qui défilent sont tout simplement
époustouflants. C'est une succession majestueuse de montagnes et forêts, de
glaciers, lacs et rivières, de fjords et de belles plages donnant sur l’océan
Pacifique. Cet univers sublime se déroule devant nous sans avoir changé depuis
des temps immémoriaux. Ainsi s’achève ce voyage intemporel en terres arctiques au
cœur d’un écosystème remarquable, préservé et encore sauvage. Je reviendrai,
j’en suis sûr.
Angelo Apperti
Ecrit le 30 octobre 2013
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